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26/09/2011

Stoner de John Williams

 

Bonne nouvelle pour mon porte-monnaie : La bibliothèque de mon trou paumé a ENFIN reçu les nouveautés de la rentrée littéraire.
Mauvaise nouvelle pour mon envie de me jeter dessus : Un seul prêt de nouveauté est autorisé à la fois. Non mais c'est quoi cette restriction? Je suis outrée. Et le pire, c'est que c'est la seule médiathèque à une cinquantaine de bornes à la ronde (oui j'habite VRAIMENT dans un trou paumé). Faut absolument que je trouve un moyen de soudoyer le personnel.

 

Bref.

Puisqu'il n'en fallait qu'un, j'ai choisi celui là :

 

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Stoner de John Williams, traduit par Anna Gavalda, Le Dilettante, Sept. 2011 (paru pour la première fois aux USA en 1965)

 

 

Faut-il préciser que ce n'est pas le bandeau évoquant la libre traduction d'Anna Gavalda qui m'a incité à le lire? Ce sont plutôt ces quelques mots du résumé : "Il se voue corps et âme à la littérature" [...] "Célébration d'une âme droite enchâssée dans un corps que la vie a très tôt voûté, voilà le récit d'une vie austère en apparence, ardente en secret".
Et là, il se passe de ces brefs instants de découvertes livresques où on se dit "Nom de Dieu, ce bouquin est écrit pour moi, il FAUT que je le lise".

Concrètement, le livre est autant (si ce n'est plus) un hommage à la vocation d'enseigner (et j'ai bien pensé à vous, chers amis profs) qu'à la littérature en elle-même à travers la vie de William Stoner. Fils de paysan que ses parents ont envoyé à Columbia suivre un cursus d'agriculture, il se découvre une passion pour les Lettres, s'y lance à corps perdu et devient professeur dans cette même université. Sa vie, pourtant, est loin d'être heureuse et apparaît même un peu ratée : professionnellement, il ne décollera jamais du poste de maître de conférence, se marie avec une femme qui ne l'aime pas et qui lui mène la vie sacrément dure, sa fille lui échappe, et il doit abandonner l'amour qu'il trouve enfin (parce qu'à cette époque, c'est du plus mauvais effet).

Je me suis demandée au fil des pages ce qu'il y avait de si extraordinaire et de si lumineux pour que tant d'écrivains anglo-saxons le considèrent comme leur livre emblématique. Jusqu'à ce que j'avale de plus en plus de pages à la fois et que je sois littéralement scotchée vers la fin, les mains un peu fébriles et toute émue comme une gamine en me disant "merde, ça peut pas être fini, y a encore des choses à vivre!"

C'est vrai, sa vie en apparence est un peu ratée. Il n'arrive pas à grand chose de concret ni de brillant. Il est de ses vies qui ne marquent pas les mémoires. Mais même s'il lui arrive de se carapaçonner dans une indifférence protectrice, William Stoner vit, malgré tout. Il voit quand même la beauté du monde dans quelques petits riens de la vie et dans ses cours qu'ils préparent et donnent avec passion. Il assume ses choix et finit par accepter avec une lumineuse sérénité la mort qui terrorise tous les autres. Malgré tout, il a vécu pleinement. "Il eut soudain, et ce fut saisissant, conscience de sa quiddité. Plus qu'une sensation, ce fut une évidence : il était lui, William Stoner, et il sut qui il avait été."
Voilà, tout est là.

 

*

 

Extraits (oui, plusieurs, parce que je suis incapable de choisir entre ces 3 sublimes morceaux):

 

"Bien qu'il fût censé apprendre des bases de grammaire et de composition écrite à un groupe de jeunes étudiants des plus hétérogènes qui soit, il était impatient et enthousiaste de s'atteler à cette mission qu'il abordait avec le plus grand sérieux. Il prépara ses cours pendant la semaine qui précédait la rentrée et ce premier travail de déchiffrage entrabâilla la porte du monde infini qui s'offrait à lui. Il comprenant le rôle de la grammaire et percevait comment, par sa logique même, elle permettait, en structurant un langage, de servir la pensée humaine. De même, en préparant de simples exercices de rédaction, il était frappé par le pouvoir des mots, par leur beauté, et avait hâte de se lancer enfin pour pouvoir partager toutes ces découvertes avec ses étudiants."

 

"Mais pendant ces semaines loin d'Edith, il lui arrivait, lors de ses cours, de se laisser emporter par son sujet et de s'y perdre si intensément qu'il en oubliait ses doutes, ses faiblesses, qui il était et même les jeunes gens assis devant lui. Oui, il lui arrivait d'être tellement pris par son enthousiasme qu'il en bégayait. Il se mettait à gesticuler et finissait par délaisser complètement ses notes. Au début, il fut décontenancé par ces emportements comme s'il craignait de s'être montré trop familier avec les auteurs ou les textes qu'il vénérait et finissait toujours par s'excuser auprès de ses élèves, mais quand ils commencèrent à venir le voir à la fin des cours et que leurs devoirs manifestèrent enfin quelques lueurs d'imagination ou la révélation d'un amour encore hésitant, cela l'encouragea à continuer de faire ce que personne ne lui avait jamais appris.
Cet amour de la littérature, de la langue, du verbe, tous ces grands mystères de l'esprit et du coeur qui jaillissaient soudain au détour d'une page, ces combinaisons mystérieuses et toujours surprenantes de lettres et de mots enchâssés là, dans la plus froide et la plus noire des encres, et pourtant si vivants, cette passion dont il s'était toujours défendu comme si elle était illicite et dangereuse, il commença à l'afficher, prudemment d'abord, ensuite avec un peu plus d'audace et enfin... fièrement."

 

"Quand il était très jeune, William Stoner pensait que l'amour était une sorte d'absolu auquel on avait accès si l'on avait de la chance. En vieillissant, il avait décidé que c'était plutôt la terre promise d'une fausse religion qu'il était de bon ton de considérer avec un septicisme amusé ou un mépris indulgent, voire une mélancolie un peu douloureuse. Mais maintenant qu'il était arrivé à mi-parcours, il commençait à comprendre que ce n'était ni une chimère ni un état de grâce, mais un acte humain, humblement humain, par lequel on devenait ce que l'on était. Une disposition de l'esprit, une manière d'être que l'intelligence, le coeur et la volonté ne cessaient de nuancer et de réinventer jour après jour."

 

 

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4/7

 

16/09/2011

Avant le silence des forêts de Lilyane Beauquel

 

Attention : coup de coeur (tadaaaam)

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Avant le silence des forêts de Lilyane Beauquel, Gallimard, 295p. 2011

 

 

Ce livre là est un gros coup de coeur que pourtant je n'ai pas dévoré. Je l'ai lu avec attention, dans la lenteur de ces lectures puissantes, ai goûté l'âpreté des faits et l'empathie du style et j'en suis époustouflée!

Le propos de l'ouvrage tient en peu de mots : Quatre jeunes bavarois, amis d'enfance, partent pour la guerre en 1915. A partir de là, c'est toute une variation sur le quotidien des tranchées ; les peurs, la faim, l'amitié malgré tout, la douleur. Plongé au coeur même de la boue, sans début ni fin, on vit avec eux des instants volés.

 

"Après les ventres transpercés, la terre et les cendres : le matin et sa limpidité. Je ne sais pas comment j'ai pu être dans cette inadvertance, faire comme chacun autour de moi : tuer et tuer encore."

 

Tout y est excellent. La perfection du style ne fait aucune concession à la cruauté du quotidien, simplement cela prend une autre couleur et devient oeuvre d'art. Lilyane Beauquel invente et joue des mots tout en usant de ces petits accents dix-neuvièmistes si savoureux. Rien n'est caricaturé, tout est dans l'instant et le vrai.
On vibre, on est là, on se prend des claques et on essaye d'avancer.

 

"Les lettres font mal, elles sont des punitions de fautes que nous n'avons pas commises."

"Cette rage, nous la hurlons dans l'aplat du terrain. Là, les linges de repos des grands blessés, les bandages qui défendent de se lever et laissent tranquilles. Nous n'avons plus ni bras ni jambes, nos ne pensons plus, le ventre fait un trou qui s'enfonce, nos yeux ne voient rien.
Nous sommes une erreur sur cette terre.
La journée a été calme, à la tombée du soir, la peur soudain. Le piétinement des soldats, le harassement. Tout ce qui point hors de la ligne de la tranchée est tiré, mis à bas, entassé à nos pieds. Sans victime, nous laissant éberlués.
Peu avant minuit, une marmite. Deux morts à l'angle nord de notre couloir."

 

C'est tout à la fois : une leçon de vie, une leçon de littérature. Merveille, merveille, merveille. Lilyane Beauquel dit de son style qu'il est une musique de mort. Je ne peux alors m'empêcher de penser à Baudelaire (tiens, tiens, comme c'est étrange et original) et à l'une de ces fleurs maudites à laquelle elle fait écho : "tu m'as donné ta boue et j'en ai fait de l'or".

 

 

 

critique,littérature,coup de coeur,guerreChallenge 1% de la rentrée littéraire
3/7

09/09/2011

La Légende des fils de Laurent Seksik

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La Légende des fils de Laurent Seksik, Flammarion, 187p., Août 2011

 

 

J'ai retrouvé dans ce roman deux traits qui signe le style de Seksik : une pudeur lyrique sur des terres étrangères. Et cette manière de cueillir le héros à l'instant crucial de sa vie, dans un monde qui le heurte et l'emporte inexorablement.

Scott, adolescent sans âge dans l'Amérique de Kennedy espère ce qui s'appelle communément le bonheur - cette chose floue qui doit tout de même bien exister. Acculé à la terreur par un père hostile et violent que la guerre a détruit, il entrevoit la lumière grâce à sa mère déifiée, exacte négatif du père et dans ces instants de bavardages plein d'une vie complice avec son cousin.
De tableaux poétiques en longues réflexions de Scott sur l'amour, la haine, l'espoir et la prière, on s'avance petit à petit vers ce virage brutal que la vie impose pour mieux s'en relever.

Malgré un style manié avec talent, La Légende des fils m'apparait comme un roman inégal où l'intelligence du ton est ponctué par quelques faiblesses : Le décor des sixties apparait factice, la relation triangulaire du fils follement épris de cette mère idéale et follement détesté du père rappelle à trop grands traits un complexe d'Oedipe facile, et cet espoir presque mystique de Scott passe plutôt pour une naïveté un peu niaise.
Il manque peut-être un peu de consistance à l'ouvrage pour que la narration soit à la hauteur du style. Néanmoins un beau moment de lecture!

 

 

Un grand merci à Mélopée pour le prêt voyageur !

 

 

Challence rentrée littéraire 2011.jpgChallenge 1% de la rentrée Littéraire 2011

 

2/7

 

 

 

 

 

 

Extrait :

 

"Il devait suivre l'exemple de Jack. Marcher sur ses traces. Ne pas élever la voix. Ne pas céder à la panique. Rester maître de soi, dominer ses craintes. Ne pas aviver la colère. Ne pas provoquer par sa présence. Ne pas compter les minutes, ne plus compter les heures. Ne rien attendre de la nuit, ne rien attendre du jour. Ne pas faire étalage de soi, se dissimler, taire sa détresse, sa révolte, sa peine et jusqu'aux battements de son coeur. S'endurcir, rester de marbre, immobile, retenir son souffle, contenir ses larmes, saisir le soir et saisir l'ombre. Se mordre les lèvres, ne pas pleurer. Se soumettre à la loi des hommes, désapprendre la justice, oublier ce qui est vrai, tout ce qui a de la grandeur, ce qui éclate de beauté. S'éclipser, se fondre dans l'espace, le silence des forêts, se projeter en une terre lointaine au ceur d'un grand pays sublime, avancer les mains nues, le front lavé d'injures, avoir l'audace d'être rien, abandonner ses forces, ses espoirs, ses tristesses, quitter ce jour sans fin, sombrer dans le sommeil, se réveiller à l'aube, se couvrir de douleur, n'oser ni regarder, ni entendre, s'envelopper de mystère, hôte précaire du soir, prendre la vie en haine, devenir une pierre, se retirer du monde, courir sur l'abîme, errer parmi les anges, se rendre invisible, tomber dans l'oubli, effacer toute trace de soi. Disparaître."